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Michelin face au Sénat : 86,6 M€ d’aides publiques en 2023, et une question plus vaste : que veut vraiment la France pour son industrie ?

Analyse InnoFunds – Presse spécialisée

Le 18 mars 2025, Michelin – l’un des symboles industriels les plus emblématiques de France – était auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques par les grandes entreprises.
L’audition, dense, factuelle et parfois tendue, dépasse largement le cas d’un seul groupe : elle révèle les contradictions profondes du modèle industriel français, partagé entre ambition de souveraineté, injonctions écologiques, pression de compétitivité internationale et attentes sociales fortes.

À travers Michelin, c’est une question centrale qui refait surface : comment la France peut-elle soutenir massivement l’innovation, accompagner des industries en transformation et préserver l’emploi… tout en exigeant discipline, transparence et efficacité dans l’utilisation des fonds publics ?

Un groupe profondément français, mais traversé par des contraintes globales

Depuis plus de 135 ans, Michelin entretient un lien unique avec la France :

  • 15 sites industriels,
  • 19 000 salariés,
  • 3 000 chercheurs,
  • 400 M€ investis chaque année en R&D nationale,
  • 2,6 Md€ investis en France depuis 2014.

Le manufacturier rappelle d’ailleurs un point que peu de multinationales peuvent affirmer : 50 % de sa recherche mondiale est réalisée en France.
Pour autant, Michelin opère dans un marché devenu l’un des plus compétitifs de la planète. Entre les géants chinois subventionnés, les normes environnementales européennes, l’envolée des coûts énergétiques, et un marché du pneumatique saturé, l’entreprise doit arbitrer en permanence entre ancrage historique et réalité économique.

Florent Menegaux l’a formulé de manière directe :

« Une entreprise n’est pas un musée. Elle vit, elle évolue, elle doit rester compétitive pour survivre. »

Une phrase simple, mais révélatrice : maintenir l’industrie en France est un choix stratégique, pas une évidence économique.

86,6 M€ d’aides publiques en 2023 : des chiffres précis, mais un usage très cadré

Michelin a détaillé pour la première fois avec autant de précision l’ensemble des aides publiques perçues pour l’année 2023.

Répartition exacte des aides publiques perçues par Michelin en France (2023)

  • Crédit d’impôt recherche (CIR) : 40,4 M€
  • Allègements / réductions de cotisations sociales : 32,4 M€
  • Aides à l’emploi / activité partielle / formation : 10,6 M€
  • Aides à la modernisation industrielle : 1,4 M€
  • Aides transition environnementale : 1,8 M€

➡️ Total : 86,6 M€

Les autres enveloppes évoquées – aides énergie (4 M€ entre 2022 et 2024) et subventions R&D (14,7 M€ entre 2020 et 2024) – ne peuvent être imputées spécifiquement à 2023 et ne sont donc pas comptées dans ce total.

Cette transparence est notable : elle permet de poser un débat apaisé, loin des approximations qui dominent parfois l’espace médiatique.

Le rôle structurant du CIR : un investissement, pas une dépense

La part la plus significative est le CIR (40,4 M€).
Michelin insiste : sans le CIR, la France ne serait plus compétitive pour la R&D de pointe.

Quelques chiffres clés cités pendant l’audition :

  • 258 brevets déposés en 2024, dont 239 en France,
  • plus de 250 collaborations académiques,
  • 50 contrats de recherche annuels avec le CNRS,
  • 3 000 chercheurs,
  • 400 millions d’euros de dépenses R&D en France chaque année.

La mécanique est claire :
➡️ Le CIR ne finance pas la recherche, il réduit le coût marginal du chercheur, ce qui permet de maintenir ou de relocaliser des activités de R&D dans un pays où les coûts salariaux sont élevés.

Michelin le reconnaît sans ambages :

« Sans le CIR, une partie de notre R&D pourrait être transférée ailleurs. »

Pour un pays qui veut défendre sa souveraineté technologique, la question dépasse Michelin : le CIR est devenu un pilier de compétitivité intellectuelle.

Fermetures de sites et aides publiques : une contradiction apparente, mais un débat réel

L’audition ne pouvait éviter le sujet : en 2024, Michelin a annoncé la fermeture des sites de Cholet (955 salariés) et Vannes (299 salariés), soit 1 254 emplois supprimés.

Cette annonce, combinée au versement de 1,4 milliard d’euros de dividendes et au lancement d’un plan de rachat d’actions, a nourri une controverse publique.

Les sénateurs ont posé frontalement la question :
Peut-on accepter qu’une entreprise touchant des aides publiques licencie et rémunère ses actionnaires ?

La position de Michelin tient en trois arguments :

  1. Les aides financent des projets ciblés, jamais des restructurations.
  2. L’activité industrielle française est déficitaire, ce que les résultats du groupe global masquent.
  3. Les fermetures résultent d’une perte structurelle de compétitivité, notamment sur les pneus poids lourds.

Cette position, économiquement cohérente, se heurte toutefois à une perception publique forte :
➡️ l’idée que l’argent public doit garantir une forme de stabilité sociale.

Ce débat dépasse Michelin. Il interroge directement le contrat social industriel français.

Les aides publiques comme outil d’attractivité – pas comme assurance tout risque

L’audition a rappelé un point fondamental, souvent absent du débat médiatique :
dans un marché mondialisé, les aides publiques ne garantissent pas l’emploi. Elles garantissent la présence du pays dans la compétition internationale.

Florent Menegaux l’a exprimé avec clarté :

« Sans compétitivité, il n’y a pas de pérennité. Et sans pérennité, il n’y a pas de rétribution pour la société. »

Ce raisonnement peut choquer.
Mais il est partagé par la quasi-totalité des grands groupes industriels français, de Renault à Safran en passant par Airbus.

Quelles leçons pour la politique industrielle française ?

Plusieurs recommandations formulées par Michelin permettent d’imaginer un système plus efficace :

1 – Créer une nomenclature claire des aides publiques

Aujourd’hui, la France dispose de plus de 2 200 dispositifs.
Résultat : confusion, inefficacité, redondances.

2 – Mettre en place un guichet unique

Alors que le Canada ou la Thaïlande opèrent déjà ainsi, la France cumule les guichets (ADEME, Bpifrance, Régions).
➡️ Une simplification serait un gain immense en efficacité.

3 – Améliorer la transparence

Les refus de subventions sont rarement motivés.
Or, pour une entreprise qui investit plusieurs dizaines de millions d’euros, une décision non motivée peut faire échouer un projet.

4 – Clarifier les règles de conditionnalité

Aujourd’hui, la France veut demander des contreparties, mais sans cadre stable.
Une doctrine claire éviterait les malentendus.

Conclusion : au-delà de Michelin, un test pour la souveraineté industrielle française

Au-delà des chiffres, cette audition révèle l’essentiel :
la France doit choisir quel type de politique industrielle elle veut mener.

  • Si l’objectif est de conserver de la R&D à haute valeur ajoutée :
    ➡️ le CIR doit rester un levier central.
  • Si l’objectif est de conserver chaque site coûte que coûte :
    ➡️ il faudra des aides massives – et probablement inefficaces à long terme.
  • Si l’objectif est d’attirer des projets industriels face à l’IRA américain ou au modèle chinois :
    ➡️ la France doit simplifier, accélérer et conditionner ses dispositifs.

Michelin devient alors un cas d’école :
un groupe profondément français, performant à l’international, soutenu par l’État… mais qui illustre les contradictions d’un modèle où aides publiques, compétitivité, emploi et souveraineté ne vont pas toujours dans la même direction.

Pour InnoFunds, cette audition constitue une source d’analyse précieuse :
elle démontre que la question n’est pas “combien d’aides ont été versées”, mais quelle vision industrielle la France souhaite défendre.


🔗 Source officielle

Sénat – Commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises
Audition Michelin – 18 mars 2025
https://www.senat.fr/actualite/aides-aux-entreprises-audition-du-pdg-de-michelin-4766.html

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